Nul n’est prophète en son pays
Les classes préparatoires, un modèle pour les licences de l’enseignement supérieur
Les récentes publications du classement de Shanghai et, plus encore, les derniers résultats de l’étude PISA traduisent un mouvement de fond : notre système scolaire et notre enseignement supérieur sont manifestement à la peine, pour ne pas dire plus. Mais d’autres enseignements ressortent de ces études. Les systèmes performants placent en leur cœur des exigences élevées. Andreas Schleicher, le directeur des études scolaires de l’OCDE, qui supervise PISA, expliquait ainsi récemment le succès du modèle finlandais(1) : « Il faut se fixer un idéal élevé. La Suède et la Finlande ont des écoles qui se ressemblent beaucoup. Mais, alors que la Finlande a défini des standards qui disent ce qu’est l’excellence, la Suède s’est contentée de fixer un minimum à acquérir. En termes de résultats, la Finlande arrive bien devant la Suède… »
Étonnamment, il existe dans notre système d’éducation une filière qui dit ce qu’est l’excellence, en tout cas, qui affirme des valeurs allant dans ce sens, c’est celle des classes préparatoires et des grandes écoles. L’efficience du modèle est grande : la réussite y est assurée pour le plus grand nombre, le chômage quasi inexistant et, pour une fois, les classements internationaux sont tout à notre honneur. Ainsi, dans sa dernière livraison le Financial Times classait trois écoles de management françaises parmi les des cinq premières d’Europe et six au sein des vingt premières pour ne citer que cet exemple. Pourquoi alors les principaux débats sur les classes préparatoires prennent-ils la forme de guerres picrocholines ou pire, de guerres de religions ? C’est que les prépas cristallisent la mauvaise conscience de notre société qui voudrait produire des élites sans élitisme, former sans évaluer, progresser sans travailler.
Il est urgent de dépassionner ces questions en les abordant de front et le plus pragmatiquement possible. Nous aimerions dépasser ici la posture défensive qu’adoptent trop souvent les prépas et montrer que non seulement, la majorité des critiques qui leur sont faites sont injustes, mais, qu’en outre, ces classes pourraient être un modèle possible pour l’enseignement supérieur, en tout cas pour le cycle de Licence.
Un coût élevé ? Un rendement exceptionnel
Examinons en premier lieu les critiques faites le plus couramment aux « prépas ». Leur coût d’abord. Les statistiques officielles indiquent qu’un élève des classes préparatoires « coûte » environ 15 240 euros par an contre 8080 pour son homologue de l’Université. Encore faut-il savoir à quoi correspondent ces chiffres. Ils sont calculés sur la base d’une division entre le budget alloué et le nombre d’élèves déclarés. Or, autant les déperditions sont marginales en prépa, autant elles sont fortes à l’Université, surtout dans le premier cycle où les taux d’échec avoisinent les 40 %. Si l’on recalculait ces chiffres sur la base du nombre réel d’étudiants, présents au mois de janvier par exemple, il faudrait notablement relever le coût unitaire de l’enseignement universitaire. Ajoutons à cela que les étudiants de prépa suivent pendant 55 semaines (étalées sur deux ans) plus d’heures de cours que leurs homologues de l’Université durant les trois années de licence. Le coût horaire de la classe préparatoire est finalement inférieur à celui de l’Université(2) !
L’élitisme des prépas ? Un correcteur social par l’excellence
L’autre reproche le plus courant relatif aux classes préparatoires et, a fortiori, aux grandes écoles est leur élitisme social. La preuve en serait que les enfants des classes populaires y sont de moins en moins représentés. Peut-être faudrait-il commencer par se demander pourquoi les classes préparatoires et les grandes écoles admettaient plus d’enfants issus de milieux populaires durant les années 1950, alors que le lycée n’admettait que 5 à 10 % d’une classe d’âge — contre 60 % aujourd’hui.
La réponse est dure à entendre : plus les exigences scolaires baissent comme elles l’ont fait ces dernières, plus les enfants des classes populaires en pâtissent ; leur milieu familial ne peut en effet pas compenser la perte des savoirs et des savoir-faire enseignés à l’école par le passé, notamment dans le domaine de la maîtrise de la langue et de la culture générale. Toutes les études convergent d’ailleurs ; c’est dès l’école primaire que se forgent les distinctions et que s’élargit le fossé entre classes sociales. Voilà pourquoi on retrouve en classes préparatoires rigoureusement la même proportion des catégories sociales qu’à la fin du secondaire dans les sections générales. Les bons élèves de terminale qui composent la majorité des effectifs de prépa sont déjà discriminés socialement depuis des années !
Bref, il ne faut pas se tromper de réforme : ce n’est pas en amenuisant les exigences dans le secondaire, en faisant disparaître dans le Supérieur la culture générale et les savoirs humanistes en général que l’on rétablira la justice sociale. C’est en réformant le secondaire, en remontant le niveau des exigences (les élèves de terminale S de 2016 ont un niveau de compétence en mathématiques bien inférieur à celui de leurs aïeux de terminale C) que l’on pourra former ceux qui en ont le plus besoin. D’ailleurs, fait trop peu relevé, ce sont les classes préparatoires qui, par leur fort contenu pluridisciplinaire, contribuent aujourd’hui de plus en plus à combler les lacunes culturelles et linguistiques que les différentes réformes du secondaire ont contribué à produire. La meilleure preuve en est qu’au niveau du bac, il existe une différence d’une mention entre boursiers et non-boursiers (bourses du supérieur), soit deux points de moyenne. Au niveau des concours, après deux ans de prépa, cette différence est réduite de deux tiers à trois quarts pour l’ensemble des matières ! Elle est même nulle pour les matières nouvelles et infinitésimale quand les étudiants cubent. En d’autres termes : l’apprentissage de contenus, l’instruction au sens de Condorcet, le suivi par un corps professoral de haut niveau, très présent et engagé paient. C’est probablement une réalité difficile à lire et à entendre à une époque où prévaut « l’affirmation de l’élève », mais l’école reste le dernier lieu capable de donner à chacun les savoirs à la fois nécessaires à son émancipation individuelle et à son ascension sociale.
Un dernier mot sur l’élitisme prétendu des prépas. Alors qu’elles sont réputées sélectives, elles accueillent environ chaque année 40 000 étudiants pour 80 000 demandeurs. Ajoutons que 30 % des inscrits en première année sont des bacheliers ayant obtenus une mention « assez bien » ou « passable ». Autant dire que les prépas sont ouvertes à la plupart des élèves motivés qui souhaitent y entrer. Au terme de la licence, la sélection sociale est finalement identique entre les masters de l’université et ceux des grandes écoles avec une sélection, il est vrai de nature différente : par le concours dans le premier cas, par l’échec bien souvent dans le second.
Un système incompréhensible à l’étranger ? Un modèle pour l’enseignement supérieur
Au-delà de la simple posture défensive, il est important de comprendre que l’éducation en général repose sur la progressivité des savoirs. Si la coupure entre le secondaire et le supérieur est désormais actée — le baccalauréat étant devenu à bien des égards un « brevet des lycées » — cela signifie que l’enseignement supérieur est une nouvelle étape. De ce point de vue, l’analyse du système en -3/+3 (du lycée à la licence) est probablement une erreur de perspective. Il faut au contraire penser le supérieur en soit : en 2/3/5 (cycle prépa-grande école), en 3/5/8 (processus de Bologne), en 4/6 (cycle anglo-saxon de bachelor, suivi du Master).
De ce point de vue, il est frappant, mais pas étonnant, que l’on retrouve dans tous les systèmes d’enseignement supérieur un premier cycle généraliste destiné à fonder le socle d’études supérieures sérieuses. Sans rentrer dans le détail, on pourra se référer à la passionnante description du système américain de la côte Ouest réalisée par Bernard Belloc et Pierre-François Mourrier(3). Les deux universitaires soulignent que la distinction entre le premier et le second cycle universitaire est très nette et que les enseignements dispensés dans les premières années visent avant tout la transmission et l’enracinement de savoirs généraux tandis que le second et, a fortiori, le troisième cycle sont orientés vers la recherche. On retrouve cette même idée qui fait la richesse de l’articulation prépa-grandes écoles : aux premières années les savoirs humanistes capables ensuite d’élever la réflexion et l’autonomie des étudiants. Dans un autre registre, les grandes public schools britanniques comme les prep’schools américaines jouent le rôle d’écoles préparatoires, bien plus élitistes et discriminantes que notre modèle républicain.
On l’aura compris, notre pays a le génie des querelles absurdes et trop souvent beaucoup de mépris à l’égard du comparatisme, du pragmatisme. Notre système scolaire illustre les impasses de raisonnements avant tout dictés par l’idéologie. Regardons lucidement ce qui doit être amélioré et ne détruisons pas à coup de passions tristes ce qui fonctionne encore. À ce titre, les classes préparatoires pourraient être un modèle pour l’enseignement supérieur en France pour les licences de l’enseignement supérieur.
Frédéric MUNIER. Agrégé d’histoire, Professeur d’histoire-géographie-géopolitique en classes préparatoires ECS au lycée Saint-Louis, Paris
Membre du Conseil d’administration de l’APHEC
↑1 Entretien dans « Le Monde » du 29-08-2016
↑2 Pour la quasi-totalité des statistiques, je renvoie à un très utile rapport rédigé par la Conférence des Grandes Écoles en 2013 et intitulé : « Classes préparatoires aux Grandes Écoles. Pour en finir avec les idées reçues ».
↑3 Dans leur ouvrage L’académie au pays du capital, Paris, PUF, 2010