Un récent article du journal Le Monde intitulé « Le “petit exode” des bacheliers français » établissait un parallèle entre l’attractivité des formations à l’étranger et le système des classes préparatoires, laissant entendre qu’il y avait là un mécanisme de vases communicants. Sans nier ce phénomène que chacun peut observer depuis maintenant quelques années, il nous semble qu’il relève de mécanismes plus subtils et que les prépas sont encore aujourd’hui la garantie d’un enseignement supérieur efficient, gratuit et pleinement républicain.
Il existe aujourd’hui une nette volonté dans les classes les plus aisées de contourner le concours et d’obtenir des diplômes du supérieur dans des conditions plus faciles qu’en France : dentaire en Espagne, médecine en Roumanie, économie au Royaume-Uni ou en Italie (Warwick au R-U ou encore la Bocconi à Milan offrent par exemple à nos bacheliers de belles formations). Mais enfin, cela s’adresse tout de même à des catégories socioprofessionnelles supérieures (frais de scolarité, logement, vie quotidienne ; qui peut acquitter 20 000 euros pendant 3 à 5 ans ?). En outre, la plupart de ces formations sont des Bachelors dont, il est vrai, le degré d’employabilité est élevé. C’est précisément la raison pour laquelle les grandes écoles de management françaises s’y mettent. Mais là encore qui peut se permettre de payer plus de 30 000 euros de frais d’inscription en Bachelor pour obtenir un diplôme de L3 dont, certes, l’employabilité est forte, mais n’a rien à voir avec un diplôme de grande école ? Réponse : ceux qui auraient les plus grandes difficultés à obtenir les concours. Et si vraiment les Prépas étaient un repoussoir, pourquoi ces jeunes gens ne vont-ils pas dans les Universités françaises ? La réponse est simple là encore : elles n’offrent pas pour la plupart la garantie d’un diplôme envié dans le domaine de la finance et du management et n’offrent pas les ponts vers les grandes écoles françaises. Alors que, comme le souligne l’article du Monde, les formations étrangères fort coûteuses le permettent…
Bref, il est possible que ce phénomène d’exode impacte déjà nos effectifs – les proviseurs des grands établissements parisiens observent cette tendance depuis plusieurs années – mais, précisément, il faut communiquer sur une chose : les prépas offrent, comme l’article le reconnaît d’ailleurs, une formation « terriblement efficace », mais surtout, qui est gratuite ! Elles sont aujourd’hui un synonyme d’efficacité, de gratuité et de plus en plus d’ouverture sociale. C’est là dessus qu’il nous faut communiquer, car quelles familles peuvent se permettre d’envoyer leur progéniture à l’étranger ? La ruse de l’histoire, c’est que nos formations, parfois pointées pour leur élitisme, pourraient devenir au train où vont les choses, des îlots de gratuité et d’efficacité, dans un océan de formations payantes (pensons aux frais d’inscription de Dauphine). Nous devons mettre cet argument en avant ; c’est vital.
Et puis, il y a un autre argument. Les défenseurs des écoles avec prépas intégrées ou encore des écoles étrangères mettent en avant leur degré de spécialisation qui les connecte au marché de l’emploi (et de fait, il est plus facile d’acquérir un savoir technique qu’un savoir général, par définition large). Fort bien. Mais nous savons tous que dans un monde changeant, il est plus facile de s’adapter à partir d’un large socle général. D’ailleurs, Jean-Michel BLANQUER, directeur de l’ESSEC, ne s’y trompe pas lorsqu’il plaide pour la création d’un collège des humanités qui irait jusqu’en L3 inclus avant de commencer les enseignements plus spécialisés.
Et, c’est bien là que l’article du Monde confond tout. Le public des Bachelors n’est pas celui des grandes écoles. Et même si des passe-droits permettent de réintégrer le système français sans être passé par les fourches caudines des concours, ils sont réservés à une minorité. Bref, il me semble que l’on peut esquisser quatre éléments de réponses à ce genre de propos :
1. On ne peut pas mettre en garde contre un système étranger payant et très sélectif et taper en même temps sur les prépas qui sont gratuites et finalement moins sélectives à l’entrée que ces grandes universités étrangères.
2. On ne peut pas faire comme si un Bachelor de la Bocconi ou de Warwick était équivalent à un Bac+5 des 6 ou 7 premières écoles de management françaises.
3. On ne peut pas laisser entendre qu’une formation technique et pointue est, sur le long terme, plus profitable qu’une formation initiale généraliste, couronnée par une formation plus technique. Il n’est qu’à voir comment sont appréciés nos étudiants de grandes écoles à Londres pour s’en convaincre.
4. Enfin, il me semble indigne de penser que nos étudiants n’ont pas de vie pendant deux ans. Il semble que nos étudiants organisent un nombre raisonnable de « soirées » dans l’année et que l’image d’étudiants lessivés et déprimés qui nous colle encore parfois à la peau est celle d’un autre âge. Et, pour revenir à certaines déclarations faites dans l’article du Monde, comment un professeur peut-il déclarer, sans mourir de honte, que travailler, lire et s’instruire, ce n’est pas vivre ? Que faisait Thomas PIKETTY durant ses années de prépa à Henri IV ? Il travaillait. Et qui trouve quoi que ce soit à y redire ? Nous sommes tous heureux et fiers que son ouvrage ait été un succès colossal aux États-Unis…
Si l’on sort de ces polémiques pleines de passions tristes, il nous semble que nous pourrions tenir ce discours, positif et constructif :
1. Les prépas publiques (et sous contrat) sont (quasi)-gratuites et finalement moins sélectives qu’on ne le dit. Encadrant bien les étudiants, elles offrent à tous la possibilité de réussir. Elles sont une « rupture de destin », comme le dit Charles COUTEL à propos de l’école républicaine.
2. Elles propulsent nos étudiants vers des diplômes à Bac + 5 synonymes d’un emploi et d’une capacité d’adaptation, car précisément…
3. …elles sont généralistes et dotent chacun de nos étudiants d’un fort bagage général.
4. Les étudiants de prépas travaillent beaucoup certes, mais ils n’oublient pas de vivre, ce sont des jeunes et qui pourrait soutenir que l’on peut réussir sans travailler et que les professions qu’ils ambitionnent seront une sinécure ?
Ce sont là quelques-unes des idées que je défendrai samedi 12 mars à la table ronde organisée au Salon de l’Étudiant.
Pour l’APHEC,
Frédéric MUNIER