Les mesures concernant les langues dans la réforme du collège, notamment la suppression des classes bilangues et des classes européennes et la dilution des enseignements de langues et cultures de l’Antiquité dans le « grand bazar des E.P.I. » (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires) sont un leurre démocratique et égalitaire.
 
Le site de l’A.D.E.A.F., l’Association pour la Défense de l’Enseignement de l’Allemand en France, présente une synthèse des heures de langues perdues pour un élève, suite au projet de réforme :
 
– La suppression des classes bilangues entraîne une perte nette pour un élève de 216 heures sur sa scolarité au collège ; celle des classes européennes en collège une perte nette de 144 heures.
 
– De plus, des cumuls de dispositifs sont, dans le système actuel, possibles. Un élève peut faire bilangue + européenne. Il a alors 576 heures d’allemand alors qu’il ne pourra prétendre avec la réforme qu’à 270 heures en LV2. Cet élève perd donc 306 heures d’enseignement, soit plus de 53 % !
 
– L’introduction de la LV 2 pour tous à partir de la 5e à raison de 2 h 30 hebdomadaires ne représente qu’un gain de 54 h par rapport au système actuel pour un élève sans option bilangue ou européenne. Non seulement tous les linguistes s’accordent à dire que 2 h 30 hebdomadaires sont insuffisantes pour une bonne imprégnation, mais, en raison de l’organisation des E.P.I., ces 2 h 30 ne seront pas nécessairement des cours en langue étrangère, car le professeur devra composer avec un collègue d’une autre discipline qui pourra intervenir sur son horaire ! Donc, nous présenter les 7 h 30 en 5e, 4e, 3e comme un progrès par rapport aux 6 h, soit 2 fois 3 h actuelles en 4e et 3e est mensonger. Il y aura nécessairement un appauvrissement du contenu linguistique enseigné et saupoudrage.
 
Le M. E. N. fait passer la possibilité de faire deux langues étrangères dès la 5e comme un pas vers l’égalité des chances alors qu’on voit bien que l’ensemble de la réforme est au mieux à moyens constants, au pire un moyen de faire des économies, même si le ministère a reculé sur la diminution de l’horaire de LV 1 en 6e (rétabli à 4 h au lieu des 3 h initialement annoncées) et est passé de 2 h à 2 h 30 en LV2.
 
Or, ce que nous disent nombre de collègues enseignant dans les ZEP / REP est que les classes bilangues n’ont jamais été élitistes, mais étaient ouvertes à tous. Elles étaient devenues un outil de mixité sociale, car elles permettaient à des enfants issus de tous milieux – ruraux, urbains ou périurbains – motivés par les langues et ayant envie de travailler, d’acquérir des compétences linguistiques et de « s’ouvrir à l’international », selon la formule à la mode, en participant à des jumelages et à des programmes d’échanges. Ces classes contribuaient aussi à retenir des familles de milieux plus favorisés qui, sans cette possibilité, auraient envoyé leurs enfants dans un collège hors secteur ou privé.
 
C’est, hélas, ce qui va arriver avec la réforme : les écoles privées annoncent déjà qu’elles maintiendront des enseignements bilangues ou renforcés en langues. Mais cela aura un coût qui sera supporté par les parents, même si l’école privée est en partie financée par l’État. Les plus riches auront aussi toujours la possibilité d’envoyer leurs enfants à l’étranger faire des séjours linguistiques dont certaines formules ont un coût prohibitif. Conclusion : la réforme va à l’encontre de l’objectif officiellement affiché, à savoir la méritocratie républicaine.
 
Nous devons alerter l’opinion publique sur le fait que le gros déficit commercial de la France est dû à la non-maîtrise des langues, surtout de l’anglais, bien sûr, mais aussi d’une multiplicité de langues. Selon de nombreux économistes, la maîtrise de 24 langues différentes serait nécessaire pour que la France redevienne compétitive à l’exportation.
 
Or actuellement, le message qui passe dans les médias, suite au rapport de la Cour des Comptes sur le coût du lycée du 29 septembre 2015, c’est qu’offrir aux candidats la possibilité de passer 58 langues au baccalauréat (dont souvent leur langue d’origine ou maternelle) coûte très cher ! Parmi les 58 langues vivantes possibles à l’examen du baccalauréat, 20 seraient choisies par moins de 50 élèves. De qui se moque-t-on ? Les médias montent en épingle le coût de quelques dizaines de sujets, photocopies et oraux supplémentaires dans une grande variété de langues, qu’elles soient régionales ou dites « rares » (parlées par une poignée d’individus n’est-ce pas ?) que sont l’arabe, le hindi, le tamoul, le persan ou le turc alors que tous les pédagogues s’accordent à dire que le bilinguisme est un plus pour les enfants (comme en témoignent les excellents résultats au bac de la Corse et de la Bretagne). La Cour des Comptes recommande de « simplifier le format du baccalauréat », « réduire la dispersion de l’offre de formation, notamment en matière d’options », « définir des cibles de taille d’établissement optimale » ou encore « ramener le temps d’instruction des élèves au niveau observé dans les pays comparables et mieux les repartir dans une année scolaire prolongée ». Dans le même temps, la Cour des comptes pointe du doigt le train de vie somptuaire des recteurs et la gabegie de la Chancellerie des Universités : il y a là des ordres de grandeur qui ne sont pas comparables !
 
Heureusement, des personnalités politiques et du monde de la culture soutiennent les professeurs de langues. La liste de ceux qui se sont manifestés contre la réforme, en particulier celle des langues vivantes, va bien au-delà des quelques noms cités ici : M. Pierre-Yves LEBORGNE, député socialiste des Français à l’étranger qui fait figure d’exception au sein de son parti, M. le Ministre Bruno LE MAIRE, M. Christian TREMBLAY, Président de l’O.E.P., Observatoire Européen du Plurilinguisme, Thérèse CLERC, Présidente de l’A.D.E.A.F., Sylvie GOULARD, députée européenne.
 
Sur la crainte de la disparition programmée de l’allemand, M. Alfred GROSSER, Professeur émérite à l’I. E. P. de Paris, artisan du rapprochement franco-allemand à l’époque du Général de Gaulle et du Chancelier Adenauer, proche conseiller de François Mitterrand a écrit à M. le Président de la République François Hollande combien à ses yeux la réforme du collège foulait aux pieds le traité de l’Élysée ; mais ce dernier n’a pas répondu sur le fond et a assuré un soutien total à sa ministre en dépit des protestations venues d’Allemagne.
 
Ce n’est qu’en 2013, à l’occasion des 50 ans du traité de l’Élysée que la nécessité de soutenir l’apprentissage de la langue partenaire a été réaffirmée en tant que fondement de la coopération franco-allemande. C’est ce que soulignait également l’ex-ambassadrice allemande, Madame Susanne WASUM-RAINER, craignant que des acquis tels que l’Abibac, les échanges scolaires, voire les jumelages, les cursus intégrés de l’Université franco-allemande ou les programmes de l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse (O.F.A.J.) ne puissent perdre de leur importance, du fait de la réforme. La ministre de l’Éducation en Allemagne, Madame Johanna WANKA, est également intervenue, ainsi qu’Olaf SCHOLZ, plénipotentiaire des relations culturelles franco-allemandes et le ministre des Affaires étrangères Frank – Walter STEINMEIER. En vain : personne ne les a écoutés.
 
Face au tollé, Madame le Ministre Najat VALLAUD-BELKACEM berce son monde par un certain nombre d’annonces, encore des leurres : les « bilangues de continuité » qui sont censées permettre aux élèves ayant étudié l’allemand en primaire de le continuer au collège. Or l’enseignement des langues en primaire ne permet guère de choisir l’allemand : on encourage les professeurs des écoles à passer l’habilitation en anglais et non en allemand. La nomination de Madame Sandrine KOTT comme déléguée ministérielle au renforcement de l’apprentissage de l’allemand chargée de faire des propositions pour l’implantation de l’enseignement de l’allemand en France ne rassure guère les professeurs d’allemand dont les services vont passer de 18 h à 7 h 30 ! D’ailleurs, un grand nombre de postes ont été habilement supprimés.
 
Au moment de sa nomination, Madame KOTT, historienne et peu connue des germanistes en France, habitait depuis 15 ans en Suisse. Faut-il se demander pourquoi le ministère a nommé une personne vivant à l’étranger qui va devoir prendre connaissance du système scolaire français actuel qui a bien changé ? Le signal de la part du gouvernement a été compris par les professeurs d’allemand. En résulte que plus personne ne veut faire d’études d’allemand menant au professorat. On comprend pourquoi. Les conditions de travail ne sont pas vraiment encourageantes. Ce fait est connu au plus haut niveau du gouvernement allemand et inquiète les personnalités politiques allemandes. Les professeurs sont nommés sur plusieurs établissements, ce qui compromet leur capacité à organiser des voyages ou des échanges. Madame KOTT, qui a compris combien la situation est dramatique pour les professeurs d’allemand, envisage de plafonner à deux le nombre d’établissements par enseignant. Mais sa marge d’action est limitée vu la réalité du terrain et les prérogatives des recteurs. On demande aussi aux professeurs d’allemand d’être bivalents afin d’enseigner une autre discipline.
 
Même si la mission de Madame KOTT est d’encourager le choix de l’allemand en LV2 à partir de la 5e, on sait que les enfants choisissent à cet âge d’étudier plutôt la même langue que les copains (en majorité l’espagnol) qu’une langue injustement réputée difficile. Comme le constate avec humour un article récent de The Economist « Sprechen Sie Power? » : « on peut maîtriser l’allemand, à l’orthographe et la prononciation prévisibles alors que l’anglais, avec son orthographe et ses structures changeantes peut se révéler traître. » Malheureusement, les raisons qui faisaient choisir l’allemand pour se retrouver dans une classe bilangue auront disparu. À terme, on peut craindre aussi que les classes européennes des lycées ne soient vouées à disparaître. Or ce même article de The Economist souligne le pouvoir d’attraction de l’Allemagne et combien étudier la langue de Goethe et Schiller est devenu branché partout dans le monde. La France irait-elle donc à contre-courant ?
 
Maintenir les classes bilangues (anglais + italien, allemand ou espagnol) uniquement dans des régions frontalières est contraire au principe d’égalité territoriale et ne répondra pas aux besoins des entreprises. Le projet « Langues et Employabilité (LEMP) » piloté par le CIEP a pour objectif d’améliorer l’employabilité des jeunes par une meilleure prise en compte des besoins en langues étrangères des employeurs sur le territoire français. Les conclusions de leur rapport d’enquête sont édifiantes : « si l’anglais est la langue la plus utilisée dans les entreprises, l’allemand, l’espagnol et l’italien figurent dans le quatuor de tête ». Un tiers des entreprises indiquent leurs difficultés à recruter un postulant ayant les compétences linguistiques requises pour le poste visé. Ces difficultés étant principalement liées selon elles à l’insuffisance de la formation scolaire et universitaire (60 %), aux manques de pratique ou d’expérience à l’étranger (12 %), à un manque d’intérêt et de motivation pour l’apprentissage des langues (6 %), à un décalage avec la réalité du monde de l’entreprise (7 %) ou au défaut de diversification des langues (6 %).
 
Enfin, on peut déplorer qu’au concours de l’ENA, il n’y ait plus que l’anglais comme LV1, ce qui envoie un très mauvais signal, à savoir que la maîtrise de plusieurs langues ne sert à rien, l’anglais étant devenu la lingua franca. Le signal est le même dans les concours scientifiques à cause notamment de l’obligation de passer une épreuve en anglais, ce qui pousse les étudiants entrant en CPGE scientifique à abandonner leur LV1 allemand au profit de l’anglais et parfois hélas leur LV2 tout court !
 
Quant au discours de Madame VALLAUD-BELKACEM, il ne s’agit pas seulement d’un simulacre de rhétorique et d’un exemple de langue de bois ; c’est plus profondément une preuve d’ambivalence idéologique profonde à l’égard du sens de l’école. C’est évidemment bien de vouloir l’égalité pour tous, mais nous refusons que ce soit fait au détriment de l’exigence de niveau et au détriment d’élèves demandeurs de savoir et aspirant à l’excellence. La France de demain a besoin de jeunes polyglottes !
 
 

Pour l’APHEC,
 
Marie-Christine CAPOBIANCO
Responsable de l’anglais
 
Christina MOHR
Responsable de l’allemand
 
Remerciements à Anne BUI, de l’O.E.P. pour sa contribution documentaire à cet article