Droit de réponse à la Chronique d’Emmanuel Davidenkoff publiée dans l’Express du 21 octobre 2015 et intitulée « Le crépuscule des prépas ».

Dans La fin d’une époque, François Mitterrand avait écrit que « le journaliste, lui peut écrire n’importe quoi et se tromper sur tout, cela ne change rien, ses journaux se vendent toujours aussi bien ou aussi mal ». C’est probablement la triste impression qu’ont pu avoir tous les connaisseurs de l’enseignement supérieur en lisant la chronique d’Emmanuel Davidenkoff, intitulée « le crépuscule des classes prépa ». Car l’auteur, pourtant directeur de la rédaction de L’Etudiant, ne s’embarrasse ni des détails, ni de la vérité. Bien au contraire, il lui préfère le charme de l’opinion non étayée, du jugement arbitraire asséné à coup d’auctoritas et, pour tout dire, de l’éternel discours qui, en se parant des valeurs de justice et de démocratie, aboutit en général à son opposé exact. Les enseignants que nous sommes sont excédés par ces caricatures perpétuelles et nous aimerions y opposer un discours de vérité.

Posons donc les présupposés de notre discours, nous enseignants de classes préparatoires aux Grandes Ecoles : nous sommes tous et tout particulièrement attachés à la méritocratie dont nous sommes issus et dont nous sommes redevables – il est peu d’héritiers chez les enseignants. Il n’est pas plus basse attaque que celle qui vise à nous faire passer pour une clique de corporatistes, nous qui serions les « privilégiés » du système car nous parvenons à gagner en moyenne… le salaire d’un enseignant allemand. C’est donc en tant qu’enseignants voués, non à perpétuer l’Ancien régime et les prébendes, mais à distinguer plus équitablement les jeunes étudiants en fonction de leur mérite que nous nous exprimons. Nous ne prétendons pas que notre système soit la panacée mais nous tenons ferme que ses vertus excèdent de loin ses défauts. Nous ne méconnaissons pas la sociologie de la reproduction mais enrageons devant son usage à des seules fins de règlement de compte contre un système, l’un des rares de notre école, qui, bon an mal an, fonctionne. La vérité, et c’est là l’angle mort de ceux qui critiquent les classes préparatoires, est la suivante : plus un enseignement est exigeant (les classes préparatoires le sont), plus sa grille d’évaluation est transparente (c’est la vertu du concours introduit précisément par la Révolution française pour couper court au privilège du lignage), moins le biais social agit. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer la sociologie des étudiants de Harvard ou d’Oxford et celle d’HEC qui, au passage, offre la quasi-gratuité des études à ses étudiants boursiers issus des prépas. Rappelons que Barack Obama a achevé de rembourser ses prêts étudiants en 2004, soit 13 ans après avoir quitté Harvard. On comprend que le système prépa-Grandes Ecoles ne soit pas copié dans le monde entier : il est peu coûteux, vertueux, autant dire moins rémunérateur en terme de chiffre d’affaire que celui du monde universitaire anglo-saxon…

Pour revenir à l’article de M. Davidenkoff, nous nous permettons de relever quelques contre-vérités flagrantes. D’après lui, le système des prépas « exclut de fait les jeunes issus des milieux les moins favorisés » ; une formulation audacieuse quand on sait que la sociologie des classes préparatoires reproduit à l’exact celle des classes terminales de notre pays. Le problème est largement en amont, dès la maternelle ! Les prépas ne peuvent pas être tenues pour responsables d’une exclusion sociale qui leur est antérieure. C’est une pure question de logique et de probité intellectuelle. Autre contre-vérité flagrante : « la proportion d’enfants d’employés ou d’ouvriers dans les grandes écoles demeure environ six fois inférieure à la part de ces catégories dans la population française ». En 2014, il y avait 6,4% d’enfants d’ouvriers et 10,1% d’employés dans nos structures alors qu’ils représentent respectivement 12,3% et 16% de la population active (Insee 2013), ce qui est certes insuffisant mais fort éloigné des chiffres avancés par M. Davidenkoff.

En outre, l’effort de démocratisation des prépas est remarquable. Les chiffres sont éloquents : entre 1996 et 2014, le nombre de boursiers y a augmenté de 94% pour atteindre 26% des effectifs ! Et comble de l’horreur, l’écrasante majorité des étudiants de prépa, pour ne pas dire tous, parviennent soit à intégrer une école soit à réussir dans leur parcours universitaire à l’issue de leurs deux ans de formation. Notons d’ailleurs que, contrairement à une idée reçue, les prépas ne sont pas bâties contre l’Université et que les partenariats Grandes Ecoles-Université ne cessent de se développer. Insistons en outre sur le fait qu’un élève de Terminale qui ose demander une prépa a une chance sur deux d’avoir une proposition conforme à ses vœux, contre une chance sur dix pour un Institut d’Etudes politiques. Drôle d’élitisme que celui qui corrige des inégalités léguées par l’école primaire et secondaire… Rappelons au passage, car il s’agit d’une attaque classique, que si le coût des prépas est supérieur de 40% environ à celui de l’université, rapporté au nombre d’heures dispensées et à la réussite (la majorité des étudiants réussissent en deux ans alors que 27% des inscrits en L1 à l’université obtiennent leur licence en trois ans), il est le système le moins coûteux du supérieur !

Il est une autre accusation, on n’ose dire antienne, celle du formatage des esprits par un « dispositif pédagogique qui privilégie la mémorisation et la reproduction – pour ne pas dire l’obéissance. » Peut-être cet argument était-il valable, il y a cinquante ans et encore… Il suffit aujourd’hui d’avoir suivi un cours de culture générale, de lettres, de philosophie, de géopolitique ou encore de lire les TIPE (Travaux d’Initiative Personnelle Encadrés qui constituent une introduction à la recherche) pour abandonner cette idée héritée d’une époque où l’école était plus coercitive qu’aujourd’hui. Et puis, qui peut sérieusement croire qu’en leur temps, Alain, Sartre ou encore François Châtelet recherchaient l’obéissance chez leurs étudiants ? Et qui peut croire que les prépas ont châtré la créativité de nos prix Nobel et nos médailles Fields : Laurent Lafforgue (2002), Wendelin Werner (2006), Cédric Villani (2010) et Ngô Bảo Châu (2010) pour ne citer que les plus récents sont tous passés par l’ENS de la rue d’Ulm qui est d’ailleurs la deuxième institution du monde derrière Princeton pour l’origine des médaillés Fields. Il faut ne rien comprendre à l’acquisition des savoirs pour oser écrire que l’enseignement rigoureux des disciplines académiques pourrait assécher l’esprit. Pour se convaincre que l’enseignement dans les prépas vaut mieux que cette caricature, nous invitons cordialement les journalistes à venir dans nos classes tant ceux qui écrivent à leur sujet y mettent rarement les pieds mais, étrangement, souvent leur progéniture. Mais il est vrai que l’on ne parle jamais aussi bien que de ce que l’on ne connaît pas…

Quant au propos de fond de l’article, il donne pour évidente une idée qui ne l’est pas. Les prépas seraient condamnées à être marginalisées, « les effectifs des prépas n’ayant pas augmenté depuis vingt ans ». Il est dommage que M. Davidenkoff n’ait pas vérifié les chiffres de L’Etudiant : le nombre d’étudiants en prépa est passé de 72 656 en 1996 à 84 151 en 2014 soit une hausse de près de 16%… Quant au fait que les Grandes Ecoles recrutent an niveau du baccalauréat ou à l’étranger, rien n’est plus faux que de le comprendre comme un contournement du système qui mènerait à sa marginalisation. Il n’est qu’à lire ou écouter Jean-Michel Blanquer, le directeur général de l’ESSEC, pour comprendre que nos Business Schools, les meilleures d’Europe selon le Financial Times, ont aujourd’hui besoin de diversifier leurs publics et qu’à côté de celui du programme « Grande Ecole » constitué des étudiants de prépa, elles intègrent tout à fait légitimement d’autres profils, ce que précisément M. Davidenkoff appelle de ses vœux…

Autre idée reçue développée dans l’article de l’Express, le fait « que le monde entier respecte [le système prépas-Grande Ecoles] au point de n’avoir jamais tenté de l’imiter ». N’en déplaise à notre journaliste, décidément mal renseigné, ce système a essaimé. Citons par exemple l’implantation de Centrale à Pékin, de classes préparatoires au Vietnam, à Tianjin, Pékin, Canton, au Maroc, en Tunisie, en Algérie et au Luxembourg qui a fait une étude comparée sur les systèmes de formation du supérieur avant d’opter pour le système prépa… Ces pays ne seraient-ils pas dignes d’attention ? Quant aux « grands pays », tels les Etats-Unis, nous ne ferons pas l’insulte à M. Davidendoff de lui conseiller de lire un ouvrage qu’il connaît certainement ; il s’agit du livre de Bernard Belloc et Pierre-François Mourier, L’académie au pays du capital. Les deux auteurs y montrent bien que le système universitaire de Californie, qui n’est pas le dernier du monde, distingue nettement le niveau de formation du Bachelor où des professeurs confirmés enseignent une forme de propédeutique, de celui du master où les étudiants sont confrontés davantage à des enseignants-chercheurs. En d’autres termes, la nécessaire acquisition de bases solides par des enseignés dédiés à cette tâche est un préalable à l’entrée dans le monde de la recherche. De même que l’entrée dans le MBA d’Harvard suppose l’obtention d’un Bachelor dans d’excellentes conditions et une procédure de sélection extrêmement poussée, l’entrée dans une grande école de management française suppose un travail soutenu et la réussite aux concours. Il n’y a là rien de très original puisque, au XIIIe siècle déjà, sur la Montagne Sainte-Geneviève, il fallait être « bachelier es Arts » pour pouvoir poursuivre ses études en faculté de théologie, de droit, ou encore de médecine. Il existe une progressivité des savoirs ; la créativité n’est tout simplement pas possible sans de solides connaissances ou de techniques préalables. Allez donc trouver un artiste, un sportif, un chercheur de haut niveau qui vous dira le contraire. La réalité est cruelle, n’en déplaise à certains.

Pour finir, on signalera la vulgarité du propos, même rapporté, selon lequel nos étudiants seraient interdits de vie sentimentale. Là encore, nous engageons les hardis journalistes, spécialistes du supérieur, à venir interviewer les étudiants de prépa. Ils seraient certainement surpris de leur témoignage…

Si l’on veut aujourd’hui lancer un débat digne de ce nom sur le supérieur, il est important qu’il soit fait avec un minimum de probité, de rigueur dans le raisonnement et le recours aux chiffres. La question de l’école est trop grave pour être maniée à coup d’idées reçues et de simplifications trempées dans la « moraline »…

Frédéric MUNIER

Membre du Bureau de l’APHEC

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