Interview de Philippe Heudron, président de l’APHEC, publiée le 4 février 2014 sur lemonde.fr :

http://www.lemonde.fr/education/article/2014/02/04/pour-le-concours-au-final-cela-reste-le-systeme-le-plus-vertueux_4359992_1473685.html


Pour quelle raison êtes-vous favorable au maintien des concours ? 


Avant tout, parce que partout où le nombre de places offertes est inférieur au nombre de postulants, que ce soit pour une formation ou un emploi, il y a de fait concurrence et donc concours. Ce qu’il faut, c’est choisir un mode opératoire qui peut aller du fait du prince au concours tel qu’on l’entend généralement. Il ne s’agit pas alors de vérifier le niveau des candidats, mais d’opérer un tri équitable entre eux. Le concours, c’est une façon de sélectionner les meilleurs quand il n’y a pas assez de places pour tous. 

 

Quels avantages offre-t-il, selon vous ?


Les concours d’entrée sont une formule égalitaire, équitable, démocratique et juste – à condition qu’ils soient bien organisés. Les copies sont anonymes à l’écrit, et l’anonymat peut même être maintenu à l’oral. C’est aussi la solution la plus efficace, et la moins coûteuse pour les deniers de l’État. Et personnellement, je n’ai jamais vu de tricherie à un concours.

Il y a aussi des bénéfices dont on parle peu : le concours incite les candidats à travailler d’arrache-pied, et souvent de façon collective. Car, contrairement à une opinion répandue, c’est un puissant facteur de socialisation. Même si l’on échoue, on aura beaucoup appris et progressé. Et c’est aussi un formidable moyen de promotion sociale contrairement à une opinion largement répandue !

 

Mais le concours a aussi ses inconvénients – le bachotage, le formatage, le stress pour les candidats…

 

Le bachotage ? Tout champion sportif, à l’entraînement, doit faire des exercices ingrats et répétitifs… Le formatage ? Aux organisateurs de concours de proposer des épreuves qui laissent aux candidats un espace de liberté et leur permettent d’exprimer leur personnalité. Quant au stress, l’entraînement et le travail permettent de le maîtriser et d’en faire quelque chose de positif. 

 

Il reste que la logique même du concours vise à éliminer des candidats. Ce côté couperet n’est-il pas gênant ?


Il est vrai que tout se joue sur une épreuve ou sur quelques jours. Mais finalement, il n’y a pas d’injustice flagrante. D’après ma longue expérience, ce sont toujours les meilleurs qui sont admis dans les écoles les plus exigeantes. Le vrai coup de chance ou de malchance est rarissime. J’ajoute que pour les grandes écoles de management, il y a au total à peu près autant de places que de candidats. Chacun d’eux pourra donc être admis dans une école ou une autre – même si ce n’est pas celle qu’il préfère.


Ne peut-on imaginer d’autres façons de sélectionner, moins brutales ? Le contrôle continu, par exemple ?


Toutes les autres formes de sélection comportent un biais, celui de la reproduction sociale ou du népotisme. Le contrôle continu ouvre la voie au favoritisme et à des dérives multiples. Pour qu’il soit efficace et juste, il faudrait 4 ou 5 épreuves dans l’année, corrigées par un jury indépendant… Cela aurait un coût énorme. 


Comment donc améliorer les concours ?


Il faut que les organisateurs veillent à proposer des sujets assez ouverts pour que l’originalité des candidats puisse s’exprimer. Il faut aussi que les notes ne soient pas attribuées par les enseignants. Personne ne doit être à la fois juge et partie. Certes, tout n’est pas parfait. Il arrive que des sujets soient mal conçus, que la notation soit plus stricte ici qu’ailleurs. Mais le dialogue entre les écoles et les professeurs permet de progresser sans cesse.  Et comme l’écrivait fort justement Miche Serres dans un article célèbre en 1999, le concours reste le système le plus vertueux et la moins mauvaise des solutions.