En suivant les échanges entre collègues depuis le début du mouvement, j’ai appris énormément sur nous, notre travail, la diversité de nos situations. Une chose m’a cependant frappée : la conscience professionnelle et la détermination dont tous font preuve. Quel contraste avec les articles que l’on peut lire dans la presse, les critiques injustifiées qui nous sont adressées ! J’ai souhaité réunir en un petit article des informations essentielles, accessibles y compris à celles et ceux qui ne sont pas familiers des CPGE. Je suis loin d’avoir atteint le niveau d’expertise de certains collègues, c’est pourquoi je tiens à préciser que ce qui suit doit TOUT à ceux qui ont su nous éclairer grâce à leurs calculs, leurs réflexions, leurs analyses et leur expérience. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés !
Les professeurs de CPGE sont d’odieux personnages qui ne pensent qu’à l’argent, sont corporatistes, conservateurs (et en plus… très méchants !)[1]
À moins que…
Les différents articles parus ces derniers jours dans la presse généraliste reflètent malheureusement une méconnaissance largement répandue concernant aussi bien le mode de rémunération des professeurs de CPGE que le mode de fonctionnement de ces classes préparatoires.
Ne nous méprenons pas, je voudrais que ce qui est écrit soit vrai. Je serais très heureuse de percevoir les rémunérations évoquées ici et là. C’est hélas bien loin d’être le cas. Ne pouvant donc passer mon samedi après midi à dépenser avenue Montaigne les folles sommes mentionnés à la page 81 du Rapport de la Cour des comptes, j’ai décidé de le consacrer, une fois n’est pas coutume, puisque je suis professeur en CPGE, au bien commun, en essayant d’expliquer tant bien que mal notre situation.
Comme chacun sait, les professeurs de CPGE gagnent des sommes prodigieuses (c’est pourquoi j’ai choisi cette profession, à la fois très rémunératrice et hautement satisfaisante, puisqu’elle m’offre également l’immense privilège de pouvoir maltraiter à longueur d’année de malheureux élèves qui n’ont d’autre choix que celui de se soumettre, terrorisés), ces sommes sont si énormes qu’il convient d’y consacrer la première partie de mon exposé.
« Les profs de prépa perçoivent des sommes exorbitantes… »
À moins que…
Il n’existe pas de statut du professeur de CPGE.
Derrière le cas exceptionnel cité par le rapport de la Cour des comptes se cache une très grande diversité de situations. Le salaire est indépendant du niveau des classes où l’on enseigne (qu’on soit professeur Agrégé en Collège, en Lycée ou en CPGE, l’indice est le même et dépend uniquement de l’échelon).
Les professeurs de CPGE perçoivent le traitement correspondant à leur indice.
L’appartenance au corps des Agrégés ne procède pas d’odieux privilèges, elle est déterminée par le succès à un concours. Être agrégé n’est pas un droit, mais résulte d’un mérite, constaté lors d’un concours. Le fait d’enseigner en CPGE donne cependant droit à une « indemnité de fonctions particulières » dont le montant s’élève à 1051 euros par an, soit 87 euros par mois.
C’est le seul supplément « statutaire » (c’est à dire attribué sans travail supplémentaire) des professeurs de CPGE. Tout autre surcroît de rémunération s’explique par une seule cause : un travail au-delà du temps plein. Les collègues faisant des heures supplémentaires auront une grosse facture en 2014 quand il faudra payer les impôts sur les heures supplémentaires effectuées en 2013. Si le ministre augmente en plus de cela nos ORS en 2014, ils seront nombreux à voir leurs revenus baisser de 40 % par rapport à 2012 (et non pas de 10 ou 15 % comme on peut le lire dans certains communiqués). C’est absolument désastreux quand le salaire de base est médiocre.
On ne parle pas assez de la succession rapide des mesures prises depuis 2012 pour réduire les revenus des enseignants français. Si la baisse de salaire annoncée (20 %) est inacceptable pour tous, elle sera encore plus difficile pour les petits salaires.
Un professeur agrégé qui a atteint l’échelon 8 (environ 10 ans d’expérience professionnelle) et exerce à temps partiel (80 %, comme beaucoup de femmes) gagnerait 1700 euros par mois.
« … et en plus, ils ont plein de vacances ! »
À moins que…
Certains fins observateurs ont remarqué que les traitements de professeurs étaient inférieurs à ceux des autres fonctionnaires de la catégorie A, à laquelle ils appartiennent. Cela s’explique notamment du fait que le traitement annuel des professeurs a été calculé sur la base de 10 mois pour tenir compte des « vacances » au-delà des 5 semaines de congés payés, puis leur est versé sur 12 mois. Inutile donc d’épiloguer sur les prétendues vacances comme s’il s’agissait d’un avantage indu.
Rappelons seulement que le mode de calcul des traitement des professeurs n’a pas évolué au fil des années, tandis que les autres fonctionnaires (et employés du privé) voyaient leur situation s’améliorer peu à peu (baisse du temps hebdomadaire de travail et augmentation du nombre des semaines de congés payés).
Enfin, les professeurs de CPGE ne s’arrêtent pas de travailler aux vacances de printemps : en première année, les cours se poursuivent jusqu’au début du mois de juillet. En deuxième année, après la pause qui correspond au temps des écrits, et dont la durée est variable, selon que les élèves passent de nombreux concours (prépas EC et scientifiques) ou un seul (prépas littéraires, ou ENS Cachan), nous reprenons les élèves pour les entraîner intensivement aux épreuves orales (jusque mi-juillet), nous aidons ceux qui n’ont pas été admis dans une grande école à peaufiner leur dossier de candidature à une filière sélective à l’Université. Nous rédigeons des lettres de recommandation, nous devons parfois aider nos élèves ayant été admis, mais ne disposant pas des moyens suffisants pour financer leurs études en école de commerce, à trouver une solution.
« Les profs en général et ceux de prépa en particulier ont la sécurité de l’emploi et le droit de donner des mauvaises notes, cela devrait suffire à leur bonheur »
À moins que…
Comme tous les autres Français, les professeurs paient un loyer, remboursent un emprunt, mangent et s’habillent. Contrairement à beaucoup d’autres professionnels, les professeurs, qu’ils enseignent en CPGE ou non, doivent acheter les livres, ordinateurs, logiciels, lecteurs MP3, dont ils ont besoin pour enseigner. Ils doivent aménager une pièce de leur logement privé pour y travailler (les lycées ferment à 20h00, rares sont ceux qui ont déjà fini de corriger leurs copies ou de préparer leurs cours à cette heure-là !) Ils ne sont pas rares, les professeurs de CPGE qui, nommés dans un établissement situé dans une autre ville, voire dans une autre académie (ce qui n’est pas possible dans le secondaire), doivent faire face à des frais d’hébergement et de transport qui sont entièrement à leur charge. Notes de frais, tickets restaurant, chèques vacances, chèques cadeaux, treizième mois, prime de Noël, plan-épargne-entreprise, sorties culturelles organisées par le CE, crèche d’entreprise, séminaires, déjeuners d’affaires, téléphone portable/ordinateur portable/tablette fournis par l’employeur : tout cela nous est étranger.
« Les profs, en particuliers ceux de prépa, travaillent huit heures par semaine et ces fainéants se lamentent parce qu’on voudrait les obliger à travailler deux heures de plus »
À moins que…
Tous comprennent qu’un joueur de football n’est pas rémunéré pour les 90 minutes hebdomadaires où il joue sur un terrain, mais bien pour l’ensemble du travail qu’il doit fournir pour être sélectionné et faire partie de ceux qui jouent en effet 90 minutes par semaine.
Si l’on critique volontiers le niveau de rémunération des joueurs de football, nul ne dit jamais: « ils gagnent tous ces millions pour 90 minutes par semaine ». Tous sont capables d’imaginer que les joueurs s’entraînent toute la semaine, avec ou sans ballon, et que leur sélection en équipe professionnelle récompense les efforts fournis au fil des années.
Pourquoi serait-ce si difficile de suivre le même raisonnement en ce qui concerne les professeurs?
Pour arriver à être sélectionné en équipe professionnelle (être agrégé), il leur faut au préalable s’entraîner et donner la preuve de leurs talents (réussir de longues études, puis être reçus à un concours). Et pour pouvoir jouer 90 minutes (être professeur agrégé, être nommé en CPGE et donner entre 8 et 11 heures de cours hebdomadaires), il leur faut s’entraîner régulièrement, s’astreindre à une certaine hygiène de vie, suivre les conseils des entraîneurs, signer des autographes (lire les programmes et des ouvrages spécialisés en fonction de la discipline enseignée, effectuer des recherches, organiser les informations pour créer le cours proprement dit, préparer des sujets d’évaluation, concevoir des exercices d’application, corriger des copies, se concerter avec leurs collègues ou leur hiérarchie etc).
« Le secret bien caché des profs de prépas, c’est le pactole des heures supplémentaires »
À moins que…
Dans le secondaire comme en CPGE, la possibilité de faire des heures supplémentaires résulte d’ajustements rendus nécessaires par la mise en relation des heures de cours dues aux élèves et des heures de cours dues par les professeurs. Si tous les besoins d’un lycée sont couverts par les services des professeurs qui y sont affectés, le proviseur ne peut créer des heures de cours supplémentaires afin de satisfaire un professeur. En CPGE, le service correspondant à une classe (les heures dues aux élèves) dépasse parfois le service d’un professeur A.
Au lieu d’engager un autre professeur B, l’État choisit d’attribuer des heures supplémentaires au professeur A, et de s’appuyer sur lui comme variable d’ajustement. Ce choix est le fait de l’employeur. Il semble a priori avantageux pour le professeur A d’accepter les heures supplémentaires imposées par le service. Dans l’immédiat, il perçoit un supplément de rémunération, bienvenu lorsqu’on sait que le gel du point d’indice fait mécaniquement perdre du pouvoir d’achat à l’ensemble des professeurs depuis des années. Cependant, comme tous les revenus du travail, les heures supplémentaires sont fiscalisées, le professeur qui « bénéficie » de ces heures participe comme tout un chacun au mécanisme de redistribution par l’impôt.
Il ne faudrait pas oublier pour autant que les heures supplémentaires ne sont pas prises en compte pour le calcul des pensions de retraite.
Cela signifie que, quel que soit le nombre d’heures supplémentaires prises en charge par un professeur de CPGE, sa retraite sera exactement du même montant que celle d’un collègue n’ayant jamais fait d’heures supplémentaires.
À y regarder de plus près, les heures supplémentaires représentent une variable d’ajustement fort pratique et économique pour l’employeur, l’État, mais elles ne bénéficient que marginalement aux professeurs de CPGE. Ce ne sont d’ailleurs pas ces derniers qui décident de s’attribuer des heures supplémentaires, mais bien l’employeur. (Tout professeur – qu’il enseigne en CPGE ou non – est obligé d’accepter la première heure supplémentaire. Pour les suivantes, il est en théorie libre de les refuser. Mais en théorie seulement, car il est difficile de refuser une (même faible) amélioration de ses revenus, et bien souvent, il est impossible de trouver un professeur pour assurer les heures en question.
Ce sont les Inspections Générales qui nomment en CPGE, y compris pour les remplacements de courte durée. Elles sont confrontées à une difficulté croissante pour recruter des professeurs (ou pour financer les postes). Des demandes officielles de création de poste sont régulièrement adressées par des équipes pédagogiques à leur hiérarchie, en vain. Les heures dues aux élèves doivent bien être assurées ; par conscience professionnelle, de nombreux collègues s’en chargent, au détriment de leur vie familiale, de leur santé, et in fine de leur intérêt financier. Pour se voir ensuite traités de « cumulards » et de « privilégiés », y compris par le grand bénéficiaire de cette pratique (gérer les besoins à coup d’heures supplémentaires sans créer de postes) : l’État.
Le professeur mis en avant dans le rapport de la Cour des comptes est, du point de vue de la gestion des finances publiques, un fonctionnaire exemplaire : il a effectué à lui seul le service de 3 professeurs, mais n’a pas coûté à l’État l’équivalent en termes de cotisations sociales et de retraite…
« Et puis il y a les colles, il paraît que c’est très bien payé… »
À moins que…
Comme les heures de cours, les heures d’interrogations orales font partie de la formation des étudiants. Ce sont des heures dues aux étudiants et qui doivent donc être assurées ; c’est de l’argent qu’on ne touche qu’à condition de travailler en plus ; leur rémunération est fixée par l’État.
Nul n’est besoin d’enseigner en CPGE pour effectuer des colles. Nombre de professeurs du secondaire et d’universitaires font des colles. Celles-ci ne sont donc pas un butin monopolisé par les professeurs de CPGE, mais un service d’enseignement dû aux étudiants et payé à tous ceux qui y participent, professeurs de CPGE, du secondaire, étudiants, universitaires ou jeunes retraités.
« Les élèves de CPGE coûtent cher à la nation »
À moins que…
Selon une idée largement répandue, un élève de CPGE coûterait 4 fois plus cher qu’un étudiant. À en croire le document : http://www.education.gouv.fr/cid11/le-cout-d-une-scolarite.html, un élève de CPGE coûte en réalité 1,3 fois plus cher qu’un étudiant (un élève de CPGE « coûte » 14 853€ par an, un étudiant en BTS 13 732€ et un étudiant en Licence 10 219€). Et encore, les calculs sont légèrement faussés, dans la mesure où le coût par étudiant à l’université est calculé sur la base des inscrits et non sur la base des présents aux examens.
Selon la DEPP[2], sur 100 étudiants inscrits pour la première fois en L1, 44 passent en L2, 25 redoublent leur L1 et 28 arrêtent leurs études ou se réorientent l’année d’après[3]. Une partie d’entre eux « ne se présentent jamais dans la formation dans laquelle ils se sont inscrits ou l’abandonnent très rapidement[4] ».
Il n’est pas possible actuellement de calculer la dépense par étudiant effectivement présent, ce qui tend à sous-estimer l’investissement réel par étudiant à l’université. De plus, l’indicateur de la dépense par étudiant est calculé pour un étudiant ne redoublant pas : de ce point de vue, les redoublements constituent un surcoût important à l’Université.
Pour comparer correctement le coût réel d’un élève de CPGE et celui d’un étudiant, il faudrait se baser sur le nombre effectif d’heures de cours dont chacun aura bénéficié, le nombre de devoirs rendus, d’interrogations orales, d’entretiens etc.
L’accompagnement personnalisé (combiné à un haut niveau d’exigence) permet à tous nos élèves, même les plus faibles, et il y en a dans les « petites prépas de province », d’obtenir l’équivalence d’une L1 en fin d’année. Il convient donc de prendre en compte le « coût » des échecs en Licence avant de comparer le « coût » d’un élève de CPGE et celui d’un étudiant.
Un étudiant en CPGE revient certes 25 % plus cher que la moyenne des 20 pays de l’OCDE. Mais étant donné le niveau de développement de la France, on devrait s’attendre à ce que les dépenses d’éducation soient plus proches des pays du Nord de l’Europe que de ceux d’Europe du Sud ou de l’Est. Les pays où les dépenses sont supérieures à la moyenne sont ceux qui fondent leur croissance sur l’éducation supérieure ; celle-ci n’est pas seulement un coût pour les finances publiques, c’est aussi un investissement qui permettra à une population active mieux formée d’être plus productive et innovante.
Pour se limiter aux aspects financiers, c’est évidemment le sous-financement des universités qui pose problème en France, beaucoup plus qu’un éventuel sur-financement des CPGE.
La dépense en euros constants par étudiant en CPGE est restée stable[5] ; elle tend même à baisser depuis 2008 si on regarde les données provisoires disponibles[6]. D’une part, les lycées, qui accueillent ces classes, ont dû contrôler leurs coûts. D’autre part, un des objectifs de la mise en place de la procédure d’affectation centralisée Admission Post-Bac (dès 2003 pour les CPGE) était d’augmenter le taux de remplissage des classes[7], ce qui joue à la baisse sur les dépenses par étudiant.
Loin de l’image de la « danseuse » qu’on leur accole, les CPGE ont donc « fait des efforts » pour contenir les coûts depuis 10 ans.
« Les CPGE, c’est réservé aux catégories les plus favorisées de la population »
À moins que…
Nous ne trions pas les dossiers de candidature en CPGE par plaisir. S’il y avait assez de places pour tous les candidats, nous ne passerions pas des semaines à sélectionner les dossiers. Comme ce sont des enseignants qui trient les dossiers, le critère premier n’est pas social, mais académique : nous regardons les résultats obtenus par les élèves au cours de leur scolarité dans le secondaire.
L’accès à une CPGE n’est pas conditionné à un niveau de ressources, il est gratuit. Lors des commissions, un bonus est attribué dans le classement final à tout élève boursier et le taux moyen de boursiers en 2012 était de 33 %. Mais il est bien plus élevé dans certaines filières et certains établissements.
À en croire le document :
http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Publications/07/2/EESR10_WEB_167072.pdf
le taux de boursiers est passé de 13 % (en 1990) à 25 %. Les CPGE remplissent donc de mieux en mieux leur rôle d’ascenseur social. Accuser les CPGE d’être violentes, c’est méconnaître la violence que représente un taux d’échec en 1ère année qui s’élève à 50 % dans certaines filières universitaires. C’est surtout méconnaître la réalité des CPGE.
Nous nous battons pour tirer nos étudiants vers le haut, nous essayons de faire en sorte qu’ils intègrent les meilleures des écoles, quitte à être parfois confrontés au problème posé par des étudiants ayant réussi le concours d’admission à une École de commerce, mais ne pouvant pas financer ses études en raison des revenus insuffisants de sa famille. Pierre Tapie souligne le rôle de passerelle essentielle joué par les CPGE dans des propos recueillis par Benoît Floc’h, in « Grandes écoles : « les classes préparatoires sont clairement un ascenseur social » », Le Monde, 6 octobre 2010.
« Notre étude montre que les […] boursiers ont en moyenne deux points de moins que les autres [au bac]. Deux ans après, une fois la classe préparatoire achevée, la différence n’est plus que d’un point. C’est à la fois peu et beaucoup. Un point peut représenter beaucoup de places dans la liste des admis aux écoles les plus sélectives. Cela démontre que les bons élèves issus de milieux défavorisés sont frappés par les discriminations sociales dès le secondaire. Et cela prouve que les classes préparatoires, qui parviennent à rattraper la moitié du retard, sont clairement un ascenseur social. »
Pourquoi vouloir priver les nouvelles génération de cet ascenseur social ? La création des ECT (qui accueillent les bacheliers de filières technologiques) et des ATS (ouvertes aux élèves de BTS et de L2) est précisément destinée à élargir le recrutement et à offrir à un plus grand nombre d’élèves une formation qui a fait ses preuves.
Nous avons salué la volonté d’augmenter la proportion de boursiers en CPGE, d’élargir le recrutement des élèves (classes ouvertes à Henri IV pour favoriser l’insertion en CPGE de jeunes bacheliers venus de ZEP, internat d’excellence créé à Provins…), pourquoi briser cette dynamique positive ?
Les CPGE jouent pleinement leur rôle en offrant aux jeunes gens méritants, souvent boursiers, la possibilité de faire partie des élites de demain et de payer alors des impôts qui bénéficieront à la collectivité. Les responsables politiques insistent volontiers sur la nécessité de réindustrialiser le pays… mais avec quels ingénieurs, quels managers s’ils ne sont plus formés, d’abord en CPGE, puis dans les Grandes Écoles ? Le pays a besoin des efforts de tous, et notamment d’enseignants dévoués dans tous les établissements de France, en zone sensible comme en CPGE, à Paris comme en régions pour transmettre aux jeunes générations le goût de l’effort.
Les profs de prépa, c’est corporatisme, conservatisme et compagnie
À moins que…
Les professeurs français font partie des enseignants les plus mal payés dans les pays développés. En s’attaquant au traitement d’une catégorie d’enseignants seulement, le ministre trahit l’égalité qu’il prétend défendre. À trop attaquer les enseignants, on détruit le lien social qu’ils assurent et leur motivation.
Les enseignants ont parfois tellement intégré ce « prof-bashing », qu’ils en arrivent à croire qu’ils sont effectivement des privilégiés usurpateurs, comme s’ils étaient là en raison d’un quelconque droit de naissance et que leur traitement n’était pas mérité. Jamais aucune profession n’a dû se justifier autant !
Pourquoi prétendre que ces enseignants sont des conservateurs, des privilégiés, de mauvais citoyens ?
Qu’ont-ils fait pour mériter une telle pluie d’invectives ?
Ils ont accepté de ne pas protester face au gel du point d’indice, ils ont accepté d’être rémunérés pour partie en heures supplémentaires, fiscalisées, mais non prises en compte pour la retraite, ils ont donné de leur temps et de leur énergie pour favoriser l’accès d’un plus grand nombre à une formation de qualité. Accuser, comme l’a fait le ministre, les CPGE de préparer des ingénieurs à devenir plus tard des financiers relève de la méprise et d’une inversion idéologique d’un problème économique fondamental. C’est plutôt parce que la finance propose ou proposait avant la crise des revenus inouïs que le choix de certains étudiants se portait sur ce secteur. Comment s’étonner que les jeunes actifs les plus diplômés fassent un choix rationnel eu égard au modèle de société qu’on a contribué à créer pour eux ! Les professeurs de CPGE n’y sont pour rien, car ils ont pour leur part fait un choix irrationnel en devenant enseignants et en croyant encore en l’école de la République.
De nombreuses personnalités politiques qui dirigent aujourd’hui la France sont passées par les CPGE et les Grandes Écoles. Certaines d’entre elles ont même choisi de faire suivre à leur progéniture un semblable cursus.
Pourquoi vouloir détruire avec tant d’acharnement une formation, qui quoique perfectible comme toute création humaine, rencontre de bons résultats ?
Comment expliquer aux jeunes, qui étaient supposés être au coeur du quinquennat, que les élites d’aujourd’hui veulent priver les citoyens de l‘accès à un outil de promotion sociale reconnu ?
Quid de l’ouverture sociale, pourquoi vouloir casser une filière qui donne chaque jour la preuve de sa capacité d’adaptation ? Il suffit de jeter un coup d’œil aux programmes des concours d’entrée aux Grandes écoles pour s’en convaincre.
Le niveau d’exigence, la variété des épreuves, l’évolution constante des attentes requiert des capacités d’adaptation et de réactivité certaines.
S’attaquer aux CPGE, c’est aussi retirer tout espoir de promotion interne à l’Éducation Nationale, c’est donc asphyxier un peu plus tout un corps de métier et risquer de faire fuir les plus mobiles et les plus qualifiés, alors même que les difficultés de recrutement n’ont pas encore été surmontées.
C’est du travail et de la contribution de tous que naîtra la France de demain, non de la division, de l’ostracisme et de la vindicte jetant en pâture certains fonctionnaires pour faire oublier qu’en réalité si peu est accompli pour améliorer durablement le sort de tous les citoyens.
Lan-Phuong Phan
Allemand
ENC Bessières 75017
[1] NB : J’ai repris des informations diffusées sur les deux listes (je suis incapable de savoir où j’ai trouvé quoi), parfois repris des passages entiers rédigés par des collègues. Ils se reconnaîtront et je les remercie de bien vouloir se signaler.
[2] DEPP, L’état de l’École : 30 indicateurs sur le système éducatif français, n°21, novembre 2011, p. 21 http://media.education.gouv.fr/file/etat21/19/3/EE-2011_199193.pdf
[3] « Parcours et réussite des inscrits en L1 », Note d’Information, 09.23, novembre 2009 http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2009/53/0/NI0923_128530.pdf
[4] Ibid. p.1
[5] Ibid. p. 21
[6] DEPP, Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche, 2011, p. 345 http://media.education.gouv.fr/file/2011/01/4/DEPP-RERS-2011_190014.pdf
[7] Yannick BODIN, Diversité sociale dans les classes préparatoires aux grandes écoles : mettre fin à une forme de « délit d’initié », Sénat, Rapport d’information n° 441, 2007
3 Comments
Merci beaucoup pour cette excellente synthèse qui met les points sur les ‘i’ et mériterait une large diffusion via un quotidien ou un magazine.
Et, à lire la partie sur le rôle d’ascenseur social des CPGE, je me demande si les deux premières années d’études supérieures ne devraient pas être toutes organisées sur le modèle des CPGE. En somme, intégrer la L1 et la L2 aux CPGE et non l’inverse…
Je reconnais effectivement des passages de mon article. Je vous remercie d’avoir pris la peine de faire cette immense synthèse.
Merci pour cette excellente synthèse de ce que l’on peut lire sur les forums qui fleurissent en ce moment. J’ai particulièrement apprécié la partie sur le prétendu coût exorbitant d’une scolarité CPGE: notre taux d’échec est bien inférieur à 50% ce qui pondère considérablement les choses face à l’université! J’aurai juste une remarque à faire sur le passage relatif à nos traitements. Sur le rapport de la cour des comptes figure un encart p 102 qui explique que l’idée selon laquelle nous serions payé 10 mois sur 12 est fausse. Nos salaires sont alignés sur la grille de catégorie A (certainement au bas de la grille!) mais que la différence se fait sur le « régime indemnitaire » qui est très faible à l’éducation nationale comparativement aux autres ministères, argument que notre cher ministre saisira au bond pour expliquer que justement sa réforme entend multiplier les primes…
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